Lāenfance est la pĆ©riode de lāinnocence, celle où lāon se construit dāabord dans la rĆ©alitĆ© de notre bulle avant de se forger dans la rĆ©alitĆ© du monde extĆ©rieur. Lāenfance de Gabriel Ć©tait douce, faite de cueillette de mangues, de pĆŖche, de plans sur la comĆØte dans le vieux Combi avec les copains du quartier. Un quartier de privilĆ©giĆ©s, de gens riches. Gabriel aime son pays, le Burundi, celui qui lāa...
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Lāenfance est la pĆ©riode de lāinnocence, celle où lāon se construit dāabord dans la rĆ©alitĆ© de notre bulle avant de se forger dans la rĆ©alitĆ© du monde extĆ©rieur. Lāenfance de Gabriel Ć©tait douce, faite de cueillette de mangues, de pĆŖche, de plans sur la comĆØte dans le vieux Combi avec les copains du quartier. Un quartier de privilĆ©giĆ©s, de gens riches. Gabriel aime son pays, le Burundi, celui qui lāa vu naĆ®tre mĆŖme sāil est Franco-Rwandais. Cāest chez lui et il ne comprend pas bien pourquoi son copain Gino lui dit quāil doit se sentir concernĆ© par ce quāil se passe au Rwanda. Il ne comprend pas bien pourquoi sa mĆØre, rĆ©fugiĆ©e rwandaise, commence Ć dire que cāest la faute des FranƧais. Il comprend par contre pourquoi son pĆØre a toujours refusĆ© de leur parler de politique, Ć lui et Ana : une fois quāil prend conscience de ce quāil se passe, une fois quāil voit, il nāy a plus de retour en arriĆØreā¦
Petit pays est lāhistoire de ces milliers dāenfances volĆ©es par les guerres civiles et les gĆ©nocides. Petit pays est lāhistoire aussi de ces pays dont les frontiĆØres ont Ć©tĆ© imposĆ©es par les colons sans tenir compte des ethnies. Petit pays est lāhistoire de ces pays qui, aprĆØs la dĆ©colonisation, laissent leurs anciennes colonies se dĆ©brouiller pour Ć©riger des dĆ©mocraties en quelques mois seulement alors quāeux ont eu plusieurs siĆØcles pour se construire. Petit pays est lāhistoire dāun petit garƧon qui est forcĆ© de grandir trop vite.
Je connaissais le gĆ©nocide rwandais de loin, jāavais effleurĆ© simplement ce pan dāhistoire parce quāil nous est contĆ© avec un regard extĆ©rieur, parce que jāĆ©tais encore petite Ć cette Ć©poque et que jāai dĆ©couvert cette histoire plus de dix ans aprĆØs. Je ne savais rien du Burundi. Et puis Petit pays māa permis de dĆ©couvrir une partie de cette histoire Ć travers le regard de Gabriel, Ć travers un regard innocent qui ne comprend pas bien ce quāil se passe, parce quāil est privilĆ©giĆ© mais, surtout, protĆ©gĆ© par ses parents. Seulement, la situation dĆ©gĆ©nĆØre et la protection nāest plus aussi solide, elle vole en Ć©clats.
Si le roman nāamĆØne pas de dĆ©bat politique, le rĆ©cit sĆØme quelques graines qui ont fait germer dans mon esprit questions et rĆ©flexions. Jāai toujours eu un regard extrĆŖmement dur envers la gestion des dĆ©colonisations et leurs consĆ©quences, envers les rĆ©flexions du genre Ā« on leur a rendu leur indĆ©pendance et ils nāont pas su la gĆ©rer Ā». Cāest bien plus complexe que Ƨa et, sans entrer dans le dĆ©tail, Petit pays apporte des Ć©lĆ©ments de rĆ©ponse. Des Ć©lĆ©ments glaƧants, qui poussent Ć vouloir plus encore changer les mentalitĆ©s et Ć remettre en question le fonctionnement de lāONU.
Ć travers la plume de GaĆ«l Faye, lāenfance est douce, savoureuse, sucrĆ©e et parfumĆ©e. Elle sāĆ©tire tel un chat au soleil, lentement, profite du soleil et des pluies, des plaisirs simples de la vie. Puis, brutalement, elle chute, les mots perdent leur innocence et les images deviennent graves, choquantes, et la nausĆ©e monte. Elle grime si vite quāon se demande où est passĆ©e cette douce enfance, on la regrette et, en un claquement de doigts, elle a disparu. Et cāest ce rythme, lent au dĆ©part, puis tout en dĆ©gringolade qui nous rappelle que, du jour au lendemain, tout peut basculer. Gabriel sentait le temps tourner, il sentait cette odeur dāorage mais tout Ć©tait fait pour quāil se gorge de soleil le plus longtemps possible. Lui qui ne voulait pas choisir de camp comme ses copains, lui qui ne comprenait pas pourquoi il Ć©tait le FranƧais, le Tutsi rwandais, le gosse de riche ou le mĆ©tis alors que, dans son cÅur, il se sentait simplement enfant du Burundiā¦
Personne ne devrait avoir Ć vivre Ƨa mais tout le monde doit savoir. Avec ce rĆ©cit dāenfant, GaĆ«l Faye nous permet de toucher du doigt cette histoire qui semble si loin et pourtant si proche : le passĆ© devrait servir de mĆ©moire, il nāest encore aujourdāhui que prĆ©texte Ć la surenchĆØre. LāHomme nāapprend que peu mais, en secouant les mentalitĆ©s, peut-ĆŖtre quāun jour, le passĆ© deviendra enfin leƧon et non plus rĆØgle Ć suivre.
Petit pays nāest pas un livre dāhistoire, cāest un roman, une fiction où lāon sent tout de mĆŖme une grande part de vĆ©ritĆ© et, surtout, de vĆ©cu. Jāai aimĆ© suivre les aventures de Gabriel, apprendre Ć travers son regard ce Ā« petit pays Ā», cette rĆ©gion des grands lacs, sa beautĆ©, ses trĆ©sors mais surtout ses plaies. Et pour poursuivre le voyage, rien de mieux que les chansons de lāauteur qui permettent de se plonger plus encore dans son univers. GaĆ«l Faye est un artiste avec de lāor au bout des mots, quāil les couche sur papier ou quāil les mette en musique. Et je regrette simplement dāĆŖtre passĆ©e Ć cĆ“tĆ© aussi longtemps.
Ā« Jāenroule une tresse de Maman autour de mes doigts et je relis le poĆØme de Jacques Roumain offert par Mme Economopoulos le jour de mon dĆ©part : Ā« Si lāon est dāun pays, si lāon y est nĆ©, comme qui dirait : natif-natal, eh bien, on lāa dans les yeux, la peau, les mains, avec la chevelure de ses arbres, la chair de sa terre, les os de ses pierres, le sang de ses riviĆØres, son ciel, sa saveur, ses hommes et ses femmes⦠»
Je tangue entre deux rives, mon âme a cette maladie-là . »
https://rambalh.blogspot.fr/2017/09/petit-pays-de-gael-faye.html
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