Un des petits bonheurs du métier de libraire consiste à éplucher les catalogues des maisons d’édition et à sélectionner parmi les nouvelles parutions celles susceptibles de vous plaire.
Parfois on est déçu ; de temps en temps on retrouve avec bonheur des personnages qu’on connait déjà et un auteur qu’on aime, un peu comme des retrouvailles avec de vieux amis ; et de temps à autre, rarement, on tombe...
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Un des petits bonheurs du métier de libraire consiste à éplucher les catalogues des maisons d’édition et à sélectionner parmi les nouvelles parutions celles susceptibles de vous plaire.
Parfois on est déçu ; de temps en temps on retrouve avec bonheur des personnages qu’on connait déjà et un auteur qu’on aime, un peu comme des retrouvailles avec de vieux amis ; et de temps à autre, rarement, on tombe sur une pépite, une vraie. Un truc tellement incroyable qu’on se dit qu’on a eu du flair et qu’on tombe en pamoison devant le génie de l’auteur et l’audace de l’éditeur.
C’est exactement ce qui s’est passé quand j’ai lu (dévoré en quelques heures serait une description plus adéquate) "Carrières de sable" de Jérôme Baccelli.
J’avais déjà entendu parler de cet auteur lors de la parution de son roman "Encre Brute" en 2013, qui explorait un aspect totalement méconnu et inattendu de Saddam Hussein, son amour pour la poésie.
Bref, me voilà avec entre les mains son nouvel ouvrage, "Carrières de sable". Le sujet m’a intriguée dès la première ligne : un jour, un consultant d’une grande banque multinationale, nommé Francis Plan, perd son téléphone, rentre en dépression, puis s’aperçoit qu’il se dissout : littéralement, qu’il se transforme en sable. Quelques jours après, une de ses collègues d’une compagnie pétrolière voit disparaître son nom des systèmes informatiques de son entreprise, puis de la Sécurité sociale, de l’Etat, etc. Commence une vague de disparitions à l’échelle mondiale.
Dans un futur proche où les hordes islamistes sont aux portes de l’Europe, où des groupes non-identifiés ont surgi de nulle part pour s’attaquer via les réseaux mais aussi physiquement aux grandes multinationales et aux administrations en détruisant les serveurs informatiques qui leur permettent d’exister, cette vague de disparitions passe presque inaperçue.
Le juge d’instruction chargé d’élucider la disparition de Francis Plan, se heurte à quelque chose d’incroyable : Francis Plan, Lorraine Delvaux, et les autres disparus continuent d’œuvrer dans l’ombre, de manipuler des graphiques, de s’exprimer sur Facebook, de répondre aux mails, de fabriquer des présentations PowerPoint, etc.
Il tente alors l’impossible : s’accrocher à la biographie de ce cadre aux activités tentaculaires et indéfinies qu’est Francis Plan, dont il finit par se demander de quoi fût bâtie la carrière… sinon de sable.
Au fil de son investigation, on croise un krach boursier, des Roms envahissant le siège d’entreprises désertées des grandes métropoles, des soupçons de complot contre les technologies modernes et le monde des marques, des réflexions sur l’offshore et la pensée magique…
Jérôme Baccelli construit avec une incroyable maestria un roman qui bouscule tous les critères de genre : on passe de polar à l’anticipation, de l’anticipation au roman catastrophe voire survivaliste, puis au thriller de complot, à la quête métaphysique et à l’étude sociologique du monde du travail. Le tout condensé en 144 pages ! C’est un coup de maître ! On n’avait rien lu d’aussi fou et pourtant vraisemblable, ou pire ! envisageable depuis "Fight Club" de Chuck Palahniuk.
"Carrières de sable" se lit en quelques trop courtes heures, vous laisse des sueurs froides et un goût de terre dans la bouche. Vous ne regarderez plus jamais un logo de multinationale, les actualités ou un smartphone de la même façon…
"Carrières de sable" – Jérôme Baccelli – Le nouvel Attila – 144 pages – 17 euros.
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